Le démembrement : un terme qui pourrait faire peur ! En gestion de patrimoine, rassurez-vous, le démembrement ça ne fait pas mal 🙂. Au contraire, c’est un outil patrimonial très puissant et applicable à de nombreuses situations dans le cadre de ses projets
Quand on évoque le « démembrement de propriété », on s’appuie sur les dispositions du Code civil sur le droit de propriété, qui distingue trois composantes :
- le droit d’user d’un bien, de l’utiliser : l’usus
- le droit de profiter d’un bien, d’en percevoir les fruits : le fructus
- le droit de disposer d’un bien, par exemple de le vendre: l’abusus
La pleine propriété réunit ces trois composantes. Et sur cette base, le démembrement de propriété va distinguer deux types de droit : l’usufruit (l’usus + le fructus) et la nue-propriété (l’abusus).
- L’usufruit permet à son titulaire d’user et de jouir d’un bien, mobilier ou immobilier, mais pas d’en disposer (il ne peut pas le vendre, notamment)
- La nue-propriété donne un droit de propriété sur un bien, droit qu’il peut céder ou conserver jusqu’à l’extinction de l’usufruit, pour en obtenir la pleine propriété
Pour illustrer cela de manière plus concrète, prenons trois domaines que l’on peut facilement rencontrer en gestion de patrimoine :
- autour de l’immobilier, avec deux exemples : l’achat d’un bien physique en nue-propriété et le démembrement de propriété sur des parts de SCPI
- sur la clause bénéficiaire en assurance vie : pour optimiser la transmission parents-enfants
- dans le cadre d’une donation : sur des actifs financiers ou des parts de société, par exemple
Le démembrement de propriété sur un achat d’immobilier physique
Il est possible d’acheter des biens immobiliers en nue-propriété, l’offre dans le neuf s’est développée depuis plusieurs années auprès des promoteurs, généralistes ou spécialistes de cette formule d’investissement, comme la société Fidexi.
>> Le principe consiste à partager temporairement les droits attachés au bien immobilier, entre un investisseur particulier (nu-propriétaire) et un bailleur institutionnel (usufruitier dans ce schéma).
Pendant une période définie (en général 15 à 18 ans), le bailleur exploitera le logement (dans le secteur social ou intermédiaire) et il percevra les loyers de ce bien ; il en assumera également les charges.
Au terme de la période de démembrement, l’investisseur deviendra automatiquement et sans frais plein propriétaire du bien. Il pourra alors jouir de son bien librement : le vendre, l’occuper, le louer…
>> Le principal avantage, c’est que l’investisseur profite d’une décote significative à l’origine sur le prix d’achat, la valeur en nue-propriété d’un bien étant inférieure à sa valeur en pleine propriété :
- le prix décoté est ainsi ramené entre 55% à 70% de sa valeur en pleine propriété, selon la nature du programme et la durée du démembrement : une décote substantielle, donc
- les charges d’entretien et travaux, ainsi que les impôts et taxes sont assumés par l’usufruitier
- et le gain final est double, d’un point de vue patrimonial : d’une part, avec la reconstitution progressive de la valeur en pleine propriété au terme de la période ; d’autre part, avec la valorisation intrinsèque du bien sur la période, selon le marché et s’il est de qualité bien sûr.
À noter : dans ce schéma, on peut aussi bien transmettre par donation la nue-propriété pendant la période de démembrement, que la pleine propriété du bien une fois celle-ci reconstituée.
Le démembrement de propriété sur des parts de SCPI
Sur le fond, les avantages sont assez similaires à ceux d’un investissement en immobilier physique, avec encore plus de flexibilité pour personnaliser son investissement :
- on achète des parts de SCPI, donc le ticket d’entrée est très accessible
- on définit une durée de démembrement de propriété, entre 3 et 20 ans, pour l’ajuster à l’échéance de son projet (son départ en retraite, par exemple)
- on bénéficie là aussi d’une décote à l’achat, sur le prix de souscription, en fonction de la durée de démembrement choisie : par exemple pour une période de 10 ans. Cette décote est d’environ 30% comparé au prix en pleine propriété
- contrepartie de cette décote : on ne perçoit pas les loyers distribués par la SCPI, mais on n’est donc pas imposé sur des revenus fonciers et on ne majore pas son assiette IFI éventuelle
- et là, aussi le gain final est double : à la reconstitution de la pleine propriété, on commencera à percevoir des loyers sur une base + élevée (grâce à la décote à l’origine, on a mécaniquement acheté plus de parts) ; on aura aussi bénéficié d’une revalorisation éventuelle du prix des parts
>> C’est un choix intéressant pour une personne qui veut diversifier son patrimoine en immobilier, sans souci de gestion, et constituer un complément de revenus futurs à la retraite et qui n’a pas besoin de revenus immédiats (parce qu’il serait fortement imposé, par exemple) : elle peut ainsi précisément calibrer son échéance, aligné sur son âge prévisionnel de départ en retraite.
Le démembrement de la clause bénéficiaire en assurance vie
La libre désignation des bénéficiaires en cas de décès est un avantage majeur d’un contrat d’assurance vie. Celle-ci étant extrêmement personnalisable, elle peut faire l’objet d’un démembrement de propriété : l’assuré stipule alors comme bénéficiaire un usufruitier (par exemple, son conjoint) et un ou plusieurs nu(s)-propriétaire(s) par exemple ses enfants. À noter qu’on parle ici de quasi-usufruit, car le démembrement porte sur des capitaux, des liquidités qu’on va consommer, et non sur un bien.
Au décès de l’assuré, le contrat est dénoué selon la clause bénéficiaire : le conjoint pourra utiliser les capitaux en totalité, en tant que quasi-usufruitier. Les enfants recevront eux la nue-propriété des capitaux, qui leur confèrera une créance vis-à-vis du quasi-usufruitier.
Au décès de celui-ci, le quasi-usufruit s’éteindra et les enfants recevront les capitaux en pleine propriété
Double avantage avec ce schéma :
- on protège pleinement son conjoint (il reçoit l’intégralité des capitaux) sans léser les enfants (ils ont un droit de créance équivalent au montant des capitaux versés)
- fiscalement, un avantage va concerner en particulier contrat alimenté par des versements avant les 70 ans de l’assuré (qui confère un abattement de 152.500 euros par bénéficiaire).
Pour détailler cet avantage fiscal :
- Au décès de l’assuré, la fiscalité portera seulement sur les enfants (car le conjoint est exonéré en tout état de cause) et uniquement sur la base de la la valeur de la nue-propriété, plutôt que sur la valeur en pleine propriété des capitaux (par exemple sur 70% de celle-ci, si le quasi-usufruitier a 75 ans) avec un abattement au prorata, pour chaque bénéficiaire
- Au décès du conjoint quasi-usufruitier, les enfants percevront ce montant sans fiscalité puisqu’ils l’auront déjà payée au moment du premier décès.
>> Ce que l’on peut retenir sur le gain fiscal, c’est que celui-ci est d’autant plus important que la valeur du contrat est élevée et que le conjoint quasi-usufruitier est jeune.
Peut-on aussi utiliser le démembrement de propriété pour des donations ?
Oui, et c’est d’ailleurs complémentaire avec des dispositions relatives à sa succession : en parallèle à la définition d’une clause bénéficiaire sur mesure en cas de décès, on peut aussi anticiper ses enjeux de transmission patrimoniale avec une ou plusieurs opérations de donation. C’est particulièrement efficace dans schéma parents-enfants, qui permet de profiter des abattements en ligne directe : 100.000 euros par parent et par enfant, renouvelables tous les 15 ans (d’où l’importance de l’amorcer au plus tôt)
Prenons l’exemple de la donation d’un actif financier comme un compte titres : il est tout à fait possible de réaliser un démembrement sur un compte titres, qui va être considéré comme une universalité (le démembrement porte sur l’ensemble du portefeuille, et non pas sur chaque titre). Le parent peut donner la nue-propriété de son compte titres à ses enfants, en se réservant l’usufruit : il peut ainsi gérer seul le portefeuille et en retirer les fruits (les plus-values) sans avoir à obtenir l’accord des enfants nus-propriétaires pour chaque opération, sous réserve de les en informer et de préserver la « substance » du portefeuille en remplaçant les titres cédés. Tout ceci doit être précisé dans une convention de démembrement pour formaliser les modalités et les droits de chacun.
Il est même possible de prévoir un usufruit successif, pour protéger pleinement son conjoint : au décès du premier parent usufruitier, l’usufruit revient à l’autre parent (qui en percevra ainsi les fruits) et au décès de ce dernier, la pleine propriété du compte titres reviendra aux enfants, nus-propriétaires jusque-là.
Ainsi, une donation démembrée présente trois grands atouts :
- les droits de donation sont réduits, car ils ne sont pas calculés sur la valeur totale de l’actif mais sur sa seule nue-propriété (qui dépend de de l’âge du donateur, selon le barème de l’article 669 du CGI)
- l’administration fiscale admet que le donateur paie les droits et frais liés à la donation (normalement dus par le[s] donataire[s] qui reçoivent la donation) sans que ces montants ne soient eux-mêmes considérés comme une donation
- au décès du ou des parent(s) usufruitier(s), les enfants récupèrent le bien en pleine propriété sans avoir de droits complémentaires à payer
On peut appliquer ce schéma à d’autres actifs, comme un contrat de capitalisation par exemple, dont l’un des avantages est de pouvoir faire l’objet d’une donation, à la différence de l’assurance vie.
Il est également possible de réaliser une donation démembrée des titres de société (qui vont distribuer des dividendes), mais le sujet est aussi plus complexe sur les droits sociaux qui y sont rattachés et notamment la répartition des droits de vote.
Pour que cela soit pleinement efficace, il faut être accompagné par un professionnel
Ces différents schémas offrent de véritables avantages, mais ils doivent être préparés et être mis en place avec un professionnel (conseiller en gestion de patrimoine, notaire) pour s’assurer qu’ils sont adaptés à la situation et aux objectifs poursuivis ; également pour en garantir la bonne formalisation permettant d’éviter toute erreur ou contestation future.
Et comme chez Mon Partenaire Patrimoine nous sommes sérieux, sans nous prendre au sérieux, nous en profitons pour remettre la fameuse scène chez le notaire dans le film des Inconnus, Les 3 Frères, avec le « jus de fruit » :).