Alors que la croissance chinoise continue de susciter l’intérêt des investisseurs, la stratégie consistant à miser sur de grandes entreprises occidentales exposées à la Chine semble aujourd’hui dépassée.
La stratégie classique : des géants occidentaux comme relais
Pendant longtemps, les investisseurs souhaitant profiter de la dynamique chinoise pouvaient se contenter d’intégrer à leur portefeuille des entreprises occidentales fortement exposées au marché chinois : Volkswagen dans l’automobile, Airbus dans l’aéronautique, Kering, LVMH ou Hermès dans le luxe, AstraZeneca dans la santé, ou encore TotalEnergies dans l’énergie.
Cette stratégie permettait d’éviter les risques liés à la gouvernance souvent opaque des entreprises locales — l’affaire Jack Ma, patron d’Alibaba, en 2020 reste dans tous les esprits — et de contourner les incertitudes liées à la montée en puissance de la consommation intérieure chinoise, longtemps espérée mais tardivement concrétisée.
Une mutation profonde du paysage économique et politique chinois
Mais les temps ont changé en Chine, et s’exposer à la croissance chinoise aujourd’hui mérite une approche beaucoup plus fine. En cause : une mutation profonde du paysage économique et politique chinois, tant à l’intérieur qu’à l’international.
À l’intérieur :
- Une croissance chinoise ralentie : historiquement alimentée par les exportations et les infrastructures après l’entrée de la Chine dans l’OMC, la croissance est tombée à 5% en 2024, bien en deçà de sa moyenne historique (hors Covid).
- Un virage vers la consommation locale : le consommateur chinois est désormais incité à consommer local, par fierté nationale, préoccupations souverainistes, en prévision de la baisse de la consommation extérieure, notamment des États-Unis ou tout simplement en raison de la faiblesse du yuan qui réduit le pouvoir d’achat des acheteurs de produits importés.
- Des champions chinois en plein essor : dans quasiment tous les secteurs, des acteurs locaux compétitifs émergent, réduisant l’espace pour les entreprises occidentales et devenant de vraies thèses d’investissement.
- Un environnement réglementaire risqué pour les firmes étrangères : l’exemple du Xinjiang, région dans l’ouest du pays — avec des entreprises occidentales contraintes de se retirer sous la pression d’enjeux éthiques et politiques — illustre la difficulté croissante d’opérer en Chine.
À l’extérieur :
- Le retour des Trumponomics : la nouvelle guerre commerciale orchestrée par l’administration Trump pousse Pékin à renforcer sa stratégie d’autonomie, et ce, avant même que les États-Unis ne mettent ses menaces à exécution avec, notamment, le relèvement de ses tarifs douaniers. Ironie de l’histoire : ces tensions pourraient renforcer l’économie chinoise en stimulant sa demande intérieure.
Capter la création de valeur en Chine uniquement via les sociétés occidentales qui y sont exposées est donc devenu au mieux insuffisant, au pire dangereux.
Repenser son exposition à la Chine
Faut-il pour autant se détourner complètement de la Chine ? Non, mais il faut investir différemment. Une approche plus fine s’impose :
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Sélectionner avec précision les valeurs occidentales encore pertinentes
Certaines entreprises occidentales conservent un réel avantage compétitif :
- Hermès, toujours prisé par les ultra-riches chinois.
- Airbus, qui bénéficie encore — mais jusqu’à quand ? — d’un avantage technologique sur la COMAC (Commercial Aircraft Corporation of China), le concurrent chinois.
- Total Énergies, engagée dans des partenariats de long terme, notamment avec la CNOOC (China National Offshore Oil Corporation) pour le GNL (Gaz Naturel Liquide) jusqu’en 2034.
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Investir directement dans les actions des acteurs chinois
Les entreprises chinoises cotées à l’étranger via les ADR (American Depositary Receipts) offrent un accès direct :
- Technologie et e-commerce : Alibaba, Tencent, Meituan, JD.com.
- Automobile et transition énergétique : BYD, NIO, CATL (Contemporary Amperex Technology).
- Aéronautique : COMAC.
- Luxe: plus complexe, en raison d’un marché encore très fragmenté, même si on voit apparaître une amorce de partenariats comme celui de Shang Xia avec Hermès qui pourrait devenir exportateur en occident !
- Santé : marché lui aussi plus complexe à appréhender du fait d’un cadre réglementaire très strict imposant une pression constante sur les acteurs et leur capacité à fixer les prix.
Ne pas négliger les risques géopolitiques
Enfin, impossible de parler de la Chine sans évoquer le contexte géopolitique. À court ou moyen terme infléchir sa façon de s’exposer à la Chine est probablement créateur de valeur. À moyen et long terme, si la guerre totale que se livrent les US et la Chine entraîne une bipolarisation radicale du monde, cela pourrait forcer les investisseurs à « choisir leur camp », avec des répercussions majeures sur la sélection des actifs — y compris pour l’investissement dans les autres marchés émergents où il faudra trier entre les vassaux des deux camps. Et ce, sans parler de scénarios extrêmes comme un conflit autour de Taïwan, qui déstabiliserait davantage la situation.
En conclusion : une Chine qui se mérite
Investir en Chine reste pertinent pour une part limitée de son allocation pour un investisseur occidental. La croissance chinoise n’est plus captable exclusivement via les grandes capitalisations occidentales. Cela nécessite une approche sophistiquée, plus directe, et surtout, une conscience aiguë des risques structurels et géopolitiques.. Elle exige aujourd’hui un vrai choix stratégique.
