En une semaine, nous avons connu trois faillites bancaires, des craintes de contagion, un soutien décisif et rapide de la Fed, un changement à la hausse puis à la baisse des attentes de mouvements de taux. C’est clairement un retournement de tendance par rapport au rallye de janvier. Le marché avait anticipé à la fois une désinflation forte et régulière et aucun dommage à l’économie réelle avec un emploi, des salaires et une consommation solide. Quelque chose devait changer.
La désinflation n’est pas une ligne droite
Alors que la croissance a continué de résister, l’inflation de février a douché les attentes d’un reflux certain de l’inflation. Le discours est donc passé de « Boucles d’or » à « Les bonnes nouvelles sont de mauvaises nouvelles » : la Fed devra en faire davantage pour vaincre l’inflation. Le président Powell a confirmé les nouvelles attentes du marché en ouvrant la porte à une ré-accélération de la hausse des taux à 50 bp lors de la réunion de mars, en suggérant que cela était en effet plausible « si l’ensemble des données » le justifiait. Les investisseurs ont pensé que la Fed monterait ses taux jusqu’à un sommet d’environ 6 %, soit près de trois hausses supplémentaires de 25 points de base par rapport à notre scénario de base.
De notre point de vue, la désinflation est toujours à l’œuvre, aidée par le retrait des mesures de relance et la diminution des goulets de production. Mais le parcours sera semé d’embûches.
Le marché du travail américain : regardons dans le détail
La série de données sur le marché du travail publiées la semaine dernière a eu de quoi satisfaire à la fois les optimistes et les pessimistes. La progression des salaires n’est pas homogène, les services demeurant plus tendus. La pression sur les salaires s’atténue : moins de départs volontaires, les employeurs moins enclins à accorder des hausses de salaires et une augmentation du taux de chômage avec l’arrivée d’un grand nombre de personnes sur le marché.
Le marché du travail américain est l’indicateur ultime de la santé du cycle mondial et nous voyons les premiers signes d’un affaiblissement.
Le spectre de la fragilité financière
L’écume que nous voyons aujourd’hui est une caractéristique des resserrements de politique monétaire et non un dysfonctionnement. Il y a deux domaines clairs d’excès/de bulles spéculatives dans ce cycle – les crypto-monnaies et les technologies non rentables. Il n’est pas surprenant que les trois banques qui ont fait faillite la semaine dernière aient été exposées à ces secteurs.
L’effondrement de SVB, le deuxième plus grand de l’histoire des États-Unis, est un cas classique d’inadéquation entre l’actif et le passif conduisant à une ruée sur les banques, à l’ancienne.
Nous voyons une contagion limitée pour un certain nombre de raisons. La SVB était particulièrement vulnérable pour deux raisons :
1️⃣ Premièrement, il s’agissait d’une banque spécialisée, extrêmement concentrée sur l’écosystème des technologies en phase de démarrage (qui a connu un afflux massif de capitaux en 2021).
2️⃣ Deuxièmement, incapable de faire croître le volume des prêts à un rythme similaire à celui des dépôts, elle a parqué ceux-ci dans des bons du Trésor américain et des titres adossés à des créances hypothécaires, sans couvrir le risque de duration.
Le cadre réglementaire a rendu possible une gestion des risques médiocre. Considérées comme non-systémiques, certaines banques ont échappé à une surveillance réglementaire stricte, contrairement à leurs homologues américaines plus importantes ou à l’ensemble du système bancaire européen.
Le soutien décisif apporté par la Réserve fédérale et le Trésor, qui ont annoncé des mesures d’urgence au cours du week-end, permettra aux banques d’obtenir des liquidités au cours de l’année à venir sans avoir à vendre des actifs comme la SVB a été contrainte de le faire. En outre, les autorités remboursent tous les déposants de la SVB, ce qui réduit le risque d’une ruée sur les banques.
La contagion aux banques européennes est limitée, car il est plus difficile pour les épargnants individuels d’accéder aux obligations d’État en Europe qu’aux États-Unis. Les dépôts sont plus stables et les pertes liées au marché sont immédiatement valorisées.
Implications pour la politique monétaire
Les banques centrales devraient davantage tenir compte de l’incidence des hausses de taux sur la stabilité du système financier. Nous nous attendons maintenant à ce que le resserrement quantitatif (QT pour quantitative tightening) prenne fin plus tôt que prévu. Le QT a un impact disproportionné sur les petites banques.
Il n’est plus question aujourd’hui de hausses de 50 points de base. La possibilité d’une pause temporaire (peut-être une seule réunion) est envisagée, mais notre scénario de base reste de +25 points de base en mars.
Implications pour les sociétés financières
Ces événements sont survenus plus tôt que l’on aurait pu s’y attendre au vu des fondamentaux globaux : la qualité des actifs bancaires reste bonne et les revenus sont solides. La majorité des banques profite de la hausse des taux.
Le risque de fuite des dépôts est désormais accru. Cela accroît la pression sur les banques pour qu’elles augmentent les taux de dépôt afin d’endiguer les sorties. Ceci aura un impact sur le revenu des intérêts perçus.
L’appétit des investisseurs pour le secteur bancaire sera modéré. En conséquence, l’écart de valorisation entre les banques faibles et fortes (et aux États-Unis, les petites et les grandes) devrait s’accroître.
Nous sommes actuellement en train d’évaluer les valeurs financières, mais il est clair que leur risque est désormais baissier.
Implications pour le cycle global
L’excès d’épargne des particuliers et l’excès de crédit des entreprises ont eu pour conséquence de diluer dans le temps l’impact sur l’économie réelle des politiques de resserrement.
Les événements de la semaine passée nous rappellent que le durcissement des conditions financières se fait encore sentir. Si l’on ajoute à cela les preuves que les consommateurs sont sous pression (forte augmentation des soldes de cartes de crédit et des retards de paiement pour les automobiles), nous sommes loin d’être sortis d’affaire.
Les tensions sur les marchés financiers exacerbent souvent les faiblesses de l’économie réelle, ce qui peut potentiellement se transformer en cercle vicieux auto-réalisateur. Toutes choses étant égales par ailleurs, il est clair que nous avons fait un pas de plus vers la récession.
Implications pour l’allocation d’actifs
Nous continuons de penser que les risques sur la croissance économique et bénéficiaire ne sont pas correctement évalués. Les classes d’actifs sensibles à la croissance, qu’il s’agisse des actions cycliques, des petites capitalisations ou de la dette à haut rendement, semblent vulnérables. Nous restons prudents et maintenons notre sous-pondération sur les actions. Nous anticipons une transition vers un cycle de croissance plus classique, c’est-à-dire moins dépendant des données d’inflation. Les actions de qualité qui ont eu du mal à traverser le cycle jusqu’à présent – parce que le risque principal était l’inflation et non la croissance – devraient commencer à surperformer. Avec la reprise de la désinflation, nous pensons que la corrélation entre les actions et les obligations à moyen terme deviendra négative, ce qui réduira la pression sur les fonds équilibrés. L’attrait de l’or s’accroît également à mesure que les taux réels se stabilisent et diminuent, parallèlement à l’affaiblissement du dollar.
À propos de l'auteur
Arun SAI
Senior Multi Asset Strategist, Pictet Asset Management