Jean-François Chambon, gérant actions Japon chez Ofi Invest Asset Management, fait le point sur la dynamique de croissance et l’environnement économique du Japon, ainsi que leur impact sur le marché actions.
Quelle est la dynamique de l’économie japonaise ces derniers mois ?
Depuis le début de l’année 2023, l’économie japonaise surprend par son dynamisme. Au premier semestre, la hausse du PIB réel s’est établie à 2,4% en rythme annualisé, ce qui est particulièrement élevé pour un pays dont la croissance est structurellement établie sous le seuil de 1% et qui ne dépasse ce niveau, occasionnellement, qu’avec le soutien d’une demande supplémentaire venant des grands clients que sont les pays étrangers. Une composante absente des bons chiffres enregistrés depuis le début de 2023 puisqu’au premier trimestre, les exportations ont pesé négativement sur la croissance. Ce n’est que depuis le mois d’avril que nous notons une reprise de la dynamique des exportations grâce au redémarrage des ventes automobiles.
Sur quoi la croissance japonaise repose-t-elle ?
Qu’en est-il de l’inflation au Japon ?
Outre une croissance en hausse, le Japon surprend aussi par l’installation d’un régime d’inflation élevé pour un pays qui a longtemps connu la déflation(1). L’inflation « coeur »(2) – hors énergie et produits frais – s’établit désormais à près de 4,3% (données de juillet). C’est la première fois, également, que la hausse de prix touche tous les secteurs. Cette augmentation arrive de manière décalée au Japon qui est directement impacté par l’inflation importée dans la mesure où le pays ne possède pratiquement aucune matière première. Nous estimons que l’inflation est désormais proche de son pic, du fait de ce décalage. Ceci devrait conduire la Banque du Japon (BoJ) et son nouveau gouverneur Kazuo Ueda (qui s’inscrit dans la droite ligne de son prédécesseur), à rester attentistes à court terme dans l’ajustement de la politique monétaire. L’institution monétaire reste en effet convaincue que la hausse des prix retournera naturellement à un rythme annuel de l’ordre de 2%, raison pour laquelle elle se distingue de ses homologues ces derniers mois par une politique monétaire très accommodante malgré la poussée inflationniste en cours.
Il faut se rappeler que les ménages japonais n’ont pas connu de hausse de prix depuis plusieurs décennies. La tendance a commencé à s’inverser au milieu des années 2010 sous l’influence du programme de relance massif du premier ministre Shinzo Abe, mais les ménages japonais ne s’en sont pas rendus compte car les entreprises parvenaient à masquer la très légère inflation par différents subterfuges, comme la baisse des quantités pour maintenir les prix. Aujourd’hui, ceci n’est plus possible : avec une inflation qui touche tous les secteurs en même temps, les entreprises n’ont plus la possibilité de masquer les hausses de prix et – surtout – elles ont enfin l’opportunité d’augmenter leurs tarifs sans craindre de perdre des parts de marché. La pression est donc forte, du côté des salariés, pour exiger des augmentations.
Les négociations avec les syndicats pour 2023 ont abouti à une hausse généralisée de 3,6% des salaires. Un chiffre encore insuffisant pour enclencher une boucle prix-salaire, mais la Banque du Japon reste surtout concernée par les négociations de 2024 qui pourraient être plus dures.
Comment l’investisseur doit-il analyser cette nouvelle dynamique économique ?
Dans ce contexte macroéconomique, trois éléments sont à surveiller.
- D’une part, le fonctionnement du marché obligataire reste très perturbé depuis la fin de l’année dernière. La Banque du Japon détient dorénavant plus de la moitié des obligations de long terme.
- Le deuxième point d’attention est de suivre la perception de l’inflation par les ménages, qui est devenue extrêmement négative du fait de la baisse des salaires réels. Comment cela affectera-t-il leur consommation ? Se reporteront-ils sur des produits plus anciens mais moins chers ?
- Troisième point d’attention, le taux de change, qui est intimement lié, en tout cas sur les dernières années, à l’évolution des taux réels. Le taux de change dollar/yen s’est fortement déprécié en 2022 avec le resserrement agressif des taux de la part de la Réserve fédérale américaine et cela amène le dollar à des niveaux élevés, inconfortables pour les autorités.
C’est sans doute l’autre raison pouvant amener, à moyen terme, la Banque du Japon à resserrer sa politique monétaire de manière très graduelle, en commençant par des programmes d’achats d’actifs puis une modification du taux de dépôt qui est aujourd’hui encore en territoire négatif.
Que pensez-vous du marché actions japonais ?
Par rapport aux points bas atteints pendant la crise Covid, le marché a progressé de près de 105% entre le point bas de mars 2020 et la fin juillet 2023, ce qui constitue une très belle performance. Le PER(3) s’établit désormais autour de 14, dans sa moyenne historique, ce qui nous semble plutôt attractif par rapport à la cherté d’autres places boursières. Mais les actions n’en demeurent pas moins au plus haut depuis 33 ans. De quoi se montrer très sélectif dans le choix des secteurs.
Ainsi, depuis le début de l’année, les secteurs les plus exposés à la demande mondiale ont affiché les meilleures performances tandis que les financières ont souffert, affectées par les crises bancaires en Europe et aux États-Unis.
Sur le moyen terme, le Japon nous paraît le mieux placé pour bénéficier du développement en Asie du Sud-Est et d’une éventuelle reprise économique en Chine, avec notamment un positionnement local majeur dans les industries de la robotique et une présence actuelle incontournable sur des secteurs comme celui de l’automobile.
Achevé de rédiger le 25/08/2023
RÉFÉRENCES
(1) La déflation est l’opposée de l’inflation. Elle se caractérise par une baisse durable et auto-entretenue du niveau général des prix.
(2) L’inflation coeur (ou « core ») est une inflation dont on a retiré certains éléments extrêmement fluctuants, comme les matières premières, agricoles, énergétiques.
(3) PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : ratio de cours divisé par le bénéfice.
À propos de l'auteur
Jean-François CHAMBON
Gérant actions Japon, Ofi invest Asset Management